mercredi 13 octobre 2010

La campagne canadienne

Dugré, Adélard; La Campagne canadienne : croquis et leçons; Imprimerie du Messager, Montréal, 1925, 251 pages.

L'abbé Adélard Dugré, un père jésuite, a écrit ce roman pour contrer l'exode de ses compatriotes aux États-Unis et aussi pour démontrer que les mariages avec des étrangers conduisent à l'assimilation. Ces deux messages sont très présents tout au long du roman. Curieusement, ce réquisitoire anti-émigration a été publié à une époque oû l'exode des Canadiens-Français vers les États-Unis était pratiquement terminé depuis une dizaine d'années. Le clergé était parfois en retard sur les changements sociaux ...

La Campagne canadienne a connu un certain succès en librairie. Le roman a été réédité deux fois en avril 1925 et en 1929. Outre sa valeur littéraire (voir l'article sur Laurentiana), son principal intérêt réside dans la description de la vie paysanne à la Pointe-du-Lac, près de Trois-Rivières, au tout début du vingtième siècle. Deux passages sont dignes de mention : le départ pour la grand'messe (p 74-78) et la veillée pour le retour du fils émigré (p 91-101) . Voici des extraits de la description du départ pour la grand'messe : 
 "Aussi n'avait-on pas de temps à perdre dès le matin. Pour aller à la grand'messe, les voitures partaient à neuf heures. Les dimanches ordinaires, c'était au moins huit, même dix et douze personnes qui y prenaient place et qui devaient se préparer à temps. Aujourd'hui il y en aurait bien quinze ou vingt.
De bonne heure, Louise devait secouer son monde. Il faisait si bon flâner et rire le dimanche matin. Après une semaine de dur travail, c'était un jour de congé qui commençait, et l'on aime à savourer un congé à ses débuts. D'abord, on aurait bien aimé dormir un brin, se lever un peu plus tard. Au déjeuner, les jeunes gens en belle humeur badinaient démesurément. En faisant leur toilette, ils chantaient, plaisantaient, s'étiraient, et l'horloge ne les attendait pas.  Alors la voix de Louise, comme une cloche d'alarme, devait sans cesse activer les lambins qui s'attardaient partout, à la fenêtre en été, autour du poêle en hiver, les mains dans les poches ou les pouces dans les bretelles. On ne finissait pas de panser les chevaux, d'astiquer les voitures. Grand-père n'était pas encore rasé, un autre ne se chaussait pas, celui-ci ne trouvait pas sa cravate et celui-là ne trouvait rien. Louise, calme mais l'oeil vif, trouvait tout, était partout, répondait à tous. L'eau chaude et les rasoirs, le linge et les habits, les souliers vernis et les cols empesés, tout arrivait à point et l'on finissait par partir.
Louise passait alors tout son monde en revue, inspectant les toilettes, s'assurant qu'on avait son chapelet, son mouchoir et son livre de prières; elle glissait aux jeunes une recommandation pieuse, un mot plus autoritaire aux grands garçons, mesurant ses conseils aux besoins de chacun...
... Ce que nous voyons ici, lui disait Léon, on le voit dans mille paroisses de la province de Québec. Ce sont deux millions de Canadiens français qui se dirigent en ce moment vers l'église. C'est la grande fête qui commence et qui revient tous les huit jours..."

Adélard Dugré est né le 14 juin 1881 à la Pointe-du-Lac dans le comté de Saint-Maurice. Il était le fils de Joseph Dugré et de Lia Duplessis. Il a été supérieur des Jésuites pour la province du Bas-Canada. La Pointe-du-Lac, sa campagne canadienne, est aujourd'hui devenue une banlieue qui a été fusionnée à la ville de Trois-Rivières en 2002. Dugré avait décrit cette proximité de la ville dans son roman  (page 20) :  
"Chaque tournant du chemin, chaque anse du fleuve, chaque ponceau, faisait jaillir dans son esprit tout un monde de souvenirs ... À cinq milles devant eux, limitant la longue vallée, ils apercevaient les coteaux , la couronne de fumée, les couvents, les clochers de la ville des Trois-Rivières."                           

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